Guadeloupe, le CHU dans le rouge
L’acheminement de plus de 100 tonnes d’oxygène médical en Martinique doit permettre de prévenir tout risque de pénurie dans une île qui connaît, comme sa voisine la Guadeloupe, une explosion de cas du variant Delta du Covid-19.
Florence Parly, ministre des Armées, a annoncé lundi un premier voyage du navire Dumont d’Urville de la Marine nationale pour livrer de l’oxygène aux Antilles, frappées de plein fouet par la quatrième vague de l’épidémie.
Parti le 15 août depuis la Guyane, il « devrait accoster à Fort-de-France le 19 août pour mettre ces stocks d’oxygène à la disposition de l’Agence régionale de santé », indique son communiqué.
Si la Martinique ne connaît pas aujourd’hui de pénurie d’oxygène, il s’agit de prévenir d’éventuelles tensions, a précisé le ministère des Outre-mer. Cet approvisionnement doit également concerner la Guadeloupe, selon l’Agence régionale de Santé locale.
« On tient bon pour eux, pour les patients »
Les couloirs de l’hôpital sont pris d’assaut par les malades, en attente de résultats, d’une éventuelle sortie ou d’une admission au sein de l’unité Covid. Albert, 64 ans, attend depuis 24 heures une place pour pouvoir s’allonger: « J’ai mal, j’ai mal aux reins, à la colonne vertébrale tout ça… j’ai mal ». Ils sont une vingtaine comme lui à espérer une place pour être pris en charge par les soignants.
Les sorties sont toutefois bien insuffisantes par rapport aux entrées. Une situation qui pèse sur le moral de l’équipe soignante. Naïma Aubatin Vergerolle, adjointe administrative aux urgences depuis trois ans, voit les dossiers s’enchaîner jour après jour. L’effort n’a rien d’un sprint, c’est un marathon pour l’hôpital.
« Les gens meurent dans les couloirs »
C’est le cas de ces deux infirmières du CH de Dunkerque, arrivées en Guadeloupe la semaine dernière dernière et qui témoignent de l’extrême dureté de leur travail à l’hôpital de Pointe-à-Pitre et de la mise en place de tri : « Les malades au-dessus de 50 ans et ceux en dessous ayant au moins un facteur de comorbidité ne sont plus intubés… La perte humaine sera énorme malgré toutes les bonnes intentions. Plus les jours passent, plus on se rend compte que la situation est catastrophique ! Les gens meurent dans les couloirs faute de place ».
Il y a encore trois jours, ce seuil fatidique était de 60 ans, un âge qui semblait déjà peu élevé pour opérer une telle sélection. Du jamais vu en métropole au plus fort de la pandémie.
Un autre témoignage, celui d’une infirmière du Béthunois également envoyée sur place et recueilli, lui, par nos confrères de l’Écho de la Lys, va dans le même sens : « Aujourd’hui (NDLR : n ’être pas admis en réa), c’est possible si vous n’avez pas 50 ans. On recule encore une fois. Les plus de 50 ans ne reçoivent malheureusement pas les soins auxquels ils pourraient prétendre ». Et de dénoncer elle aussi « une situation dramatique ».
Le tri des malades, une crainte devenue réalité
Les urgences ont déjà déménagé deux fois pour gagner de la place et le stock de bouteilles d’oxygène a été triplé. Les moyens dont bénéficient le service et ses soignants leur permet de tenir, pour le moment.
Les transferts de patients vers la métropole n’ont toutefois pas permis d’empêcher le dilemme moral qu’est celui du tri entre les patients. Les équipes du CHU priorisent dorénavant les malades avec les meilleures chances de survie, seuls ces derniers sont admis en réanimation. Reste qu' »Il y a toujours plus de candidats pour chaque place qui se libère », selon Amaël Ouassoun. L’interne en anesthésie, venu de la région parisienne pour prêter main forte aux équipes sur place, évoque un climat « assez anxiogène ».
Des tensions possibles pour les patients à domicile
En attendant, « les établissements et les fournisseurs affirment maîtriser la situation à ce jour », a écrit l’ARS de Guadeloupe dans un communiqué envoyé vendredi soir. Même si « la consommation en oxygène a très significativement augmenté (…) les consommations sont suivies quotidiennement » et les « fournisseurs ont renforcé leur approvisionnement en oxygène gazeux et liquide ».
« La totalité des capacités de production d’oxygène de notre unité de séparation de gaz de l’air située en Martinique est à présent dédiée à la production d’oxygène médical. A ce jour, les quantités d’oxygène médical livrées ont été multipliées par 8 en Martinique et par 6 en Guadeloupe », indiqué le groupe Air Liquide, un des principaux fournisseurs d’oxygène médical au monde, sollicité par l’AFP.
Selon l’ARS, la situation est cependant un peu plus compliquée hors de l’hôpital : « dix prestataires sont autorisés en ville » pour l’oxygène médical, délivré à domicile à partir de concentrateurs d’oxygène, « c’est à ce niveau que des tensions existent étant donnée l’augmentation brutale de la demande », explique le communiqué de l’ARS.
L’ARS prévient également : « Si les patients ne peuvent pas bénéficier d’oxygène à domicile, ils seront hospitalisés en médecine en attendant ».
En fin de semaine dernière, le taux d’incidence était de plus de 2.015 cas pour 100.000 personnes en Guadeloupe, près de 1.200 pour la Martinique.
La Réunion, davantage épargnée mais sous alerte
Alors que les élèves réunionnais ont repris le chemin de l’école, la situation sanitaire est sous haute surveillance à La Réunion. Moins alarmante qu’en Martinique et Guadeloupe, elle reste toutefois préoccupante. Les patients sont arrivés moins soudainement mais en nombre. Fin juillet, le CHU alertait sur «l’évolution très préoccupante de la courbe des contaminations ces derniers jours […] laissant craindre que le CHU ne soit débordé […] au détriment de patients porteurs d’autres pathologies». Pour y faire face, c’est toute l’équipe médicale qui s’est mobilisée.
La Guyane, du variant brésilien au variant Delta
Premier territoire français à avoir vu le variant brésilien à se développer sur son territoire, la Guyane a connu une très forte troisième vague, approchant les niveaux de juillet 2020. Le variant Delta a désormais pris le dessus et laisse planer sur l’enclave française l’ombre d’une reprise épidémique. «L’impact sur les hospitalisations est à craindre d’ici une ou deux semaines», prévient la préfecture de Guyane, les yeux rivés sur Cayenne et Kourou, possibles foyers de la quatrième vague.